Protection sociale, citoyenneté sociale - Fondements philosophiques

Publié le 19 mai 2022

Table-Ronde du projet Cepassoc, organisée par le laboratoire MIL, sous la direction scientifique de Claire Marzo et Gregory Bligh.

Cepassoc3
Cepassoc3
Date(s)

le 24 mai 2022

13h00
Lieu(x)
Créteil
Université Paris-Est Créteil
Faculté de droit
Salle A301
83-85, avenue du Général de Gaulle
94 000 Créteil
& sur Zoom
https://u-pec-fr.zoom.us/j/89136878689
ID de réunion : 891 3687 8689
Projet CEPASSOC, Projet N° ANR-20-CE26-001-01, https://cepassoc.hypotheses.org/
 

Programme

Buffet 12h00-13h00

Première session : 13h00-14h30
S. de la Rosa, UPEC, Accueil
C. Marzo, UPEC, Introduction

1 - G. Bligh, IEP Lyon, Propos introductif. Relire Marshall en juriste : éclairage et perplexité
2 - C. M. Herrera, CY Cergy Paris Université, La citoyenneté sociale sous le néo-libéralisme est-elle concevable ?
3 - M. Unger, Université de Strasbourg, Citoyenneté sociale et responsabilité individuelle

Discussion

Pause et café 14h30-15h00

Deuxième session : 15h00-16h30

4 - T. Pullano, Université de Bâle, Citoyenneté et classe transnationale dans l'Europe contemporaine : de T.H. Marshall aux défis contemporains
5 - J. Barroche, IEP Lyon, Ce que l’Union européenne fait à la citoyenneté en général et à la citoyenneté sociale en particulier
6 - C. Aynes, Université Paris Ouest, Entre particularisme de l'appartenance et universalisme des droits : les tensions de la citoyenneté

Discussion

16h30 Cocktail
   

Argumentaire

T.H. Marshall affirme avec vigueur que les droits dont chaque personne doit pouvoir jouir ne s'étendent pas seulement aux libertés négatives et aux des droits politiques, mais bien aux droits sociaux et économiques. L'intérêt de son propos se situe à nos yeux dans la tension suivante. Les droits sociaux et économiques sont présentés comme un élément essentiel du bien-être de toute personne vivant dans une société de classe, et rendant tolérable les rapports inégalitaires inhérents à cette forme sociale. Cependant, Marshall ne déploie pas ici une théorie des droits moraux de l'individu, mais soutient que chacun doit avoir accès à la « citoyenneté sociale ». Or, la citoyenneté se définit en fonction de critères d'appartenance à une communauté politique, un groupe, etc. Il reconstruit, pour étayer son propos, la genèse et le développement des droits positifs des citoyens d'une communauté politique particulière (la communauté politique britannique). Il n'apparaît donc pas clairement, à la lecture de Marshall, s'il souhaite esquisser la logique propre de certains droits qui découlent d'une forme de solidarité entre citoyens, ou s'il s'agit simplement d'une troisième génération de droits (expression qu'il mobilise par ailleurs) venant s'ajouter aux précédents que l'individu doit pouvoir revendiquer auprès de l’État. Quoi qu'il en soit, la conception de Marshall a ceci de captivant qu'elle semble proposer des pistes permettant de sortir des écueils de l'individualisme et du subjectivisme tout en restant dans le cadre d'une théorie des droits. Plutôt qu’à une exégèse des idées de Marshall, nous nous intéresserons dans ce colloque : (i) à la notion fondamentale de citoyenneté sociale elle-même, qui soulève des difficultés tant du point de vue de la pensée des juristes que celle des philosophes ; (ii) à une analyse des fondements moraux et politiques du droit à (et de) la protection sociale. (iii) Il s'agira donc également de se demander si la citoyenneté sociale est un outil conceptuel adéquat pour rendre compte des fondements moraux et politiques du droit à la protection sociale, et quelles autres voies conceptuelles s’avèrent disponibles. Les interventions pourront se concentrer librement sur l'un de ces axes. Pour aller plus dans le détail : (II) La notion de citoyenneté sociale pourrait jouer un rôle dans la construction européenne, en apportant une dimension plus humaine à des problèmes souvent conçus sous le seul angle économique, centrés sur les notions de droits de l’entreprise et du travailleur (v. par ex. C. Marzo, R. Bauböck, S. Maillard). La notion de citoyenneté permettrait de surmonter cette difficulté. Par ailleurs, dans un contexte où le sentiment d'appartenance des ressortissants européens à une communauté politique européenne est très inégalement réparti (tant entre les États qu'au sein des États), la notion permettrait de dépasser les mécanismes – peu fédérateurs pour ce qui concernerait la construction européenne – des traités internationaux en matière de protection des droits de la personne. Ainsi, l'idée de droits sociaux découlant d'une forme de citoyenneté non-étatique semble offrir certaines solutions. Cependant, là où Marshall part de l'appartenance à la communauté politique historique qu'il étudie pour conclure à l'émergence de droits sociaux et économiques du citoyen, il s’agirait plutôt, dans l’exemple du droit européen, de dessiner les contours d’une communauté des « citoyens » par la jouissance d'un ensemble de droits. Mais alors, s'agit-il du même concept de « citoyenneté sociale » ? Est-ce, d’ailleurs, bien grave ? En outre, ne trouve-t-on pas ici un cas privilégié du phénomène mis en lumière par C. Colliot-Thélène (La démocratie sans « démos », 2011) de dénationalisation de la citoyenneté et de recentrement sur la subjectivité politique de l’individu titulaire de droits confronté à un nombre croissant de forums dans lesquels ces droits pourront, et devront, être revendiqués ? (III) L'idée de citoyenneté sociale soulève des difficultés tout aussi intéressantes en ce qui concerne les rapports entre l'individu et l’État. Juridiquement, le critère de la citoyenneté est celui de la démarcation entre la personne qui appartient – et celle qui n'appartient pas – à la communauté politique. L'accès à la protection sociale deviendrait alors immédiatement synonyme d'exclusion du non-citoyen, les étrangers résidant sur le territoire bénéficiant, au mieux, d'un régime de tolérance et non de droits. Nous serions ici très loin de l’esprit de la promotion des droits sociaux et économiques. Si, pour répondre à ce problème, on cherche à développer une théorie des droits moraux de chaque individu, émergent alors les problèmes de la faible force contraignante de telles positions pour un État maître du droit positif (objection formulée de longue date par Bentham, par les critiques marxistes du droit – prolongés par les critical legal studies, etc.). Si, enfin, on développe une conception de la justification de l’existence du pouvoir de l’État (comme chez Léon Duguit) ou de l’autorité justifiée (comme chez Joseph Raz), la notion de citoyenneté sociale semble perdre toute utilité : on sort purement et simplement d’une question de droits de la personne.
Ces débats sont à resituer dans le cadre du projet CEPASSOC, projet interdisciplinaire (trois disciplines : droit, histoire et sociologie) et international (cinq ordres juridiques) qui porte sur la protection sociale des travailleurs de plateformes et les apports de la citoyenneté sociale.