La France, un État intégré

Publié le 15 décembre 2021

Colloque organisé dans le cadre du cycle de conférences de la Chaire Jean Monnet, à l’occasion de la présidence française (du Conseil) de l’Union européenne, sous la direction scientifique de Béligh Nabli, Maître de conférences HDR en droit public à l’UPEC et membre du Laboratoire M.I.L.

La France, un État intégré
La France, un État intégré
Date(s)

le 18 janvier 2022

9h00
Lieu(x)
Créteil
Université Paris-Est Créteil
Faculté de droit
83-85, avenue du Général de Gaulle
94 000 Créteil
Amphithéâtre B4 & sur zoom : https://u-pec-fr.zoom.us/j/88102752206

Argumentaire

« On nous change notre État ! », s’exclamait déjà le doyen Hauriou à la fin du XIXe siècle[1]. Construit, mais inachevé, l’État n’est pas un produit fini : il s’inscrit dans une dynamique d’évolution continue sans être linéaire. Une dynamique nourrie par les implications et conséquences de l’appartenance et de la participation à l’Union européenne.
Le premier semestre 2022 sera marqué par la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Cet évènement politique offre l’occasion d’interroger la transformation de l’État en « État intégré ». La notion suggère l’existence d’un type d’État, dont la spécificité de sa nature, de son statut et de son identité, résulte de son appartenance à l’Union européenne. Une hypothèse qui demande à se vérifier dans le cas spécifique de la France.
D’un côté, les États membres ne sont pas extérieurs ou tiers par rapport à l’Union, ils la composent : ils sont de l’Union et dans l’Union. L’intégration européenne s’accompagne en effet d’un « volontarisme étatique » : la fondation, l’approfondissement et l’élargissement de l’Union sont tributaires de la volonté souveraine de l’État. De l’autre, l’Union est intégrée dans les États membres. L’appartenance et la participation à l’Union européenne ne sont pas sans effet sur l’État membre lui-même. Sa morphologie change sous l’effet des implications de l’intégration. Le glissement de la condition classique de l’État nation-souverain à la qualité d’État intégré, d’où résulte une « étaticité » singulière.
Si l’État intégré n’est pas n’importe quel État, il ne correspond pas pour autant à une catégorie étatique « monolithique ». L’appartenance à l’Union ne met pas fin à la diversité − des systèmes et traditions constitutionnels, administratifs et politiques − des États membres. L’appartenance à l’Union ne met pas fin à la diversité − des systèmes et traditions constitutionnels, administratifs et politiques − des États membres. Le « Brexit » l’atteste. Non seulement l’appartenance à l’Union n’est pas définitivement acquise, mais la relation ambivalente des États à l’intégration indique qu’au-delà de la « différenciation formelle ou statutaire », les États intégrés ne partagent pas/plus la même conception et représentation du projet d’Union. La volonté d’intégration n’est pas équivalente dans tous les États de l’Union ; de même que l’adaptation et l’acculturation à l’intégration. La dynamique d’approfondissement ne neutralise pas les formes de résistance exprimées par des États et/ou nations, au nom d’une souveraineté et d’une identité ancrées dans leurs constitutions. Des États membres n’hésitent plus à remettre en cause certaines des valeurs communes qui les lient à l’Union. Ainsi, le projet d’Union suppose une volonté d’adhésion qui dépasse le simple acte d’adhésion.
Dans un tel contexte, où se situe la France dans sa relation avec l’organisation d’intégration ? En raison de son histoire, de son statut de pays fondateur et de son poids politique, économique et diplomatique, la France a toujours eu une place déterminante dans la construction européenne, plus ou moins marquée selon les époques. Il n’empêche, la relation de la France à l’intégration européenne s’avère ambivalente, oscillant entre logique purement intergouvernementale et discours volontariste favorable au projet d’intégration.
Le poids de l’histoire politique et de la culture juridique françaises centrées sur le modèle de l’État-nation explique en partie ses accès d’« eurofrilosité ». État membre fondateur de l’Union européenne, la France voit traditionnellement dans l’État unitaire et souverain, le type idéal de l’État. Reste que la qualité d’État intégré affecte non seulement le modèle de l’État unitaire français hérité de la tradition jacobine et napoléonienne, mais intéresse « le principe même de l’existence française, [en qualité d’]État national »[2].
Du reste, l’esprit originel de la Constitution de 1958 épouse les principes gaullistes : la souveraineté nationale et l’interétatisme s’opposent à la logique d’intégration ou à la supranationalité. Bien que rédigée après la ratification des traités CECA, CEE et EURATOM, la Constitution française du 4 octobre 1958 ne faisait aucune mention particulière de l’intégration communautaire. Pendant plus de trente ans, la coexistence de la Ve République et des Communautés européennes n’a pas suscité d’adaptation dans l’ordre constitutionnel français. L’alinéa 15 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 fondait juridiquement et à lui seul la participation de la France aux Communautés européennes. La construction européenne était envisagée comme un phénomène prenant place dans le cadre interétatique du droit international classique. La volonté d’assimilation du « fait communautaire » au droit international n’a pas résisté aux implications du projet d’union politique, économique et monétaire porté par le traité de Maastricht. Lorsque la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a brisé le silence constitutionnel de 1958, la notion d’ « État intégré » s’est enracinée dans la norme suprême de l’ordre juridique national.
Or il n’est pas contradictoire à voir dans la France un État souverain et un État intégré. C’est du moins ce que tente de montrer le Titre XV de la Constitution du 4 octobre 1958, qui tend à consacrer un nouveau caractère de l’État républicain, indivisible, démocratique et social[3]. La France est aussi un « État intégré », qualité qui n’entraîne pas un « dédoublement de la personnalité juridique » de la France : la Constitution prend soin de concilier les qualités d’État souverain et d’État intégré.


[1] Note sous l’arrêt « Canal de Gignac », Tribunal des Conflits, 1899.
[2] R. ARON, « Esquisse historique d’une grande querelle idéologique », in Raymond Aron et Daniel Lerner (dir.), La Querelle de la CED. Essais d’analyse sociologique, Cahiers de la FNSP, n° 80, Armand Colin, 1956, p. 7.
[3] Article 1er de la Constitution de 1958.

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